Claude Raffestin (1936-2025)
On 25 September 2025, Claude Raffestin has passed away. He was one of the most prolific and creative theorists on geography, territory and politics across the francophone realm. Juliet Fall from the University of Geneva's Dept. of Geography has honored her former colleague with this obituary, which we gratefully publish here with her permission.
À la fin des années 1970, les sciences humaines et sociales étaient en ébullition. Tous ceux qui refusaient la «vieille» géographie étaient regroupés sous le nom de «nouveaux géographes», malgré des divergences importantes entre approches. Cette période a marqué l’entrée de Claude Raffestin dans les débats au sein de la géographie francophone, un an avant sa nomination comme professeur à l’UNIGE. Dès le début, il a pris position contre la géographie classique, formulant une critique claire des canons existants. Il était toutefois réticent à l’idée d’associer des adjectifs à la géographie, à la différence de ce qui se passait dans le contexte international anglophone où l’on se réclamait d’une géographie politique, culturelle ou sociale. Géographe inscrit dans les sciences humaines et sociales, Claude Raffestin introduisit des références théoriques nouvelles dans une discipline en transformation.
Le rejet par Claude Raffestin des écoles de pensée et son attachement personnel à une pensée en procès pour laquelle un cadre théorique utilisable n’est atteint que par approximations successives, jamais figées, ne facilite pas toujours la lecture de ses travaux. Il est par exemple impossible ou imprudent d’identifier une contribution et de la considérer comme sa théorie définitive de la territorialité — peut-être le concept qui traverse le plus ses travaux — si ce n’est son caractère processuel. Tous ses écrits sur l’intelligibilité géographique de la réalité sont présentés davantage comme des propositions que comme des théories abouties ou définitives. Mosaïque construite lentement, dispositif ou proposition, ses ouvrages sont autant de moments de fixation temporaire de sa pensée qui revisite fréquemment les mêmes thèmes, pour les prolonger ou les contredire. Traduits en italien, espagnol et portugais et largement lus dans ces contextes linguistiques, les ouvrages et articles de Claude Raffestin n’ont été que très peu traduits en anglais, alors que nombre de propositions thématiques et théoriques similaires, mais consécutives aux siennes y ont connu un grand succès, dans une sorte de monde géographique et intellectuel parallèle.
«C’est fatiguant de marcher sans atteindre effectivement ce que l’on voudrait»
Extrait tiré d’un entretien réalisé à l’Université de Genève par Juliet Fall, en 2011.
Parmi ses nombreuses contributions, trois phases plus ou moins distinctes se dégagent dans son œuvre. La première comprend ses premiers écrits morpho-fonctionnels jusqu’au début des années 1970, et en particulier sa thèse de doctorat qu’il a lui-même largement rejetée, la considérant comme aveugle à la question du pouvoir. La deuxième phase, dont la contribution majeure est Pour une géographie du pouvoir (1980), s’appuie sur l’affirmation de Michel Foucault selon laquelle l’espace est fondamental pour toute forme de vie communautaire et tout exercice du pouvoir. Cet ouvrage peut être considéré comme une réponse indirecte aux questions posées par Foucault aux géographes et publiées dans la revueHérodote en 1976. Il y formalise pour la première fois sa théorie du territoire et de la territorialité, en s’appuyant sur La Volonté de savoir de Michel Foucault (1976), une référence tout à fait inhabituelle pour un géographe de l’époque. Son concept de territoire doit également beaucoup à La production de l’espace d’Henri Lefebvre, en spatialisant son approche relationnelle. Cette période s’inspire également fortement de la sémiotique et d’auteurs aussi divers que Luis Prieto, Ludwig Wittgenstein, Umberto Eco, Edward Soja et David Harvey, tout comme Serge Moscovici et Alain Touraine. L’éclectisme de cette liste est inhabituel, tout comme le refus de Claude Raffestin de se limiter à certaines disciplines: il lit de nombreux auteurs, prend leurs propositions au sérieux et emprunte à chacun selon ses besoins. L’accent mis par Claude Raffestin sur le territoire comme lieu de toutes les relations sociales et spatiales, et investi à ce titre de signes qui le singularise pour un temps, et sur la territorialité comme résultat de ces relations. Il s’inspire également des travaux de René Girard, selon lesquels le territoire joue le rôle de médiateur dans les relations entre les personnes. Il y ajoute des considérations sur l’argent et le travail comme opérateurs sociaux et spatiaux fondamentaux. Cette théorisation du territoire et de la territorialité est certainement la contribution de Claude Raffestin la plus connue, même si sa contribution parallèle à une théorisation des frontières comme limites est reconnue et toujours mobilisée. La troisième phase démarre vers la fin des années 1980, dans une adhésion à un projet de phénoménologie du géographique qu’il associe à une écologie humaine. Ses travaux sur les paysages, notamment ceux rédigés et publiés en italien, prolongent cette phase.
Pour saisir l’homme, sur un mode plus personnel, loin de ses écrits, on pourrait lire le roman policier écrit par son épouse Mercedes Bresso, Il profilo del tartufo (2009). Ce thriller géopolitique qui se déroule en Italie renferme un professeur suisse d’histoire du paysage appelé Claude, qui semble passer une sorte de congé sabbatique dans le Piémont. Ce gentleman charmant, érudit, gentil et sage séduit subtilement la policière italienne et, alors qu’on lui transmet une quantité quelque peu improbable de données confidentielles, finit par aider à résoudre l’enquête. Un portrait fictionnel qui suggère une autre facette que celles du professeur, collègue et auteur.
Juliet Fall avec ses collègues du Département de géographie, Université de Genève
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Raffestin's legacy has been widely perceived and discussed across geography in various debates and developments. In 2012, a theme issue in Environment & Planning D: Society and Space was devoted to critically acclaiming his oeuvre. On the occasion of Raffestin's passing, the same journal has devoted a virtual theme issue including a remembrance by Fall and a link to all 2012-papers made available by open access. MH
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